grandbrassac

T'es beau vu de dos!

T'es beau vu de dos : N'étaient les va-et-vient de l'employé municipal, juché à califourchon sur le siège de son microtracteur, on pourrait croire, en ce début d'après-midi presque printanier, que toute vie a déserté le bourg. Attelé à l'exécution de quelque mission d'importance, l'homme, par sa seule présence, atteste cependant l'existence probable d'une maigrelette population,   claquemurée derrière des façades sans joie, dans l'attente du retour de celui ou de celle qui, au loin, compte les minutes dans son bureau ou son atelier…                      Massées au pied de l'église romane ou ancrées sur le flanc pentu d'une combe, certaines maisons n'ouvrent plus leurs volets que durant quelques semaines d'été. D'autres dissimulent mal toitures béantes et maçonneries effondrées derrière des murs décrépis, sombres et humides…ou la palissade d'un chantier en sommeil !

                      Le moteur du tracteur s'est tu plongeant rues et venelles dans un silence de sépulcre. Pas même un jappement de chien ni la course inquiète d'un chat pour dissiper cette image qui s'impose à l'esprit : celle d'un corps exsangue plongé dans une raideur quasi cadavérique. On se prend à penser qu'un cinéaste inspiré pourrait, ici, tourner, en nuit américaine, quelques scènes glauques d'un drame paysan Simenonien.

 

 

                      Grand Brassac fut, jadis, un des plus jolis villages du Périgord Blanc. Un village actif et prospère aussi avec ses commerces et ses artisans nombreux qui peinaient à satisfaire les attentes de tous les habitants de la commune… L'architecture Julesferryste, pas plus que l'indigence de quelques constructions érigées dans l'entre-deux-guerres, n'étaient parvenues à dénaturer son visage.

                      C'est, comme partout ailleurs, à partir des années soixante d'un autre siècle, si difficile à quitter, que tout s'est, brutalement gâté ! Une nouvelle donne économique violente la ruralité qui, se piquant de modernité, adopte les sinistres matériaux du moment. Ciment, Fibrociment, tuiles dites « mécaniques », tôle ondulée et poutrelles métalliques… le reflux démographique substitue insensiblement, aux autochtones sur le départ, les premiers résidents secondaires. Côté rue ou côté jardin on perce d'affligeantes baies vitrées pour mieux faire entrer le soleil… le béton vert des clôtures végétales enserre dans ses alignements géométriques cours et pelouses… Répondant à des exigences culturelles ( ! ) et sanitaires mises au goût du jour une « salle polyvalente » dont on espère que l'utilité est inversement proportionnelle à son esthétique, sort de terre, la dissimulation de la station d'épuration, aussi visible qu'un ostensoir brandi par un célébrant illuminé, ne s'avère pas être prioritaire, chalets et édicules en parpaings se multiplient. À croire que tous se sont donné le mot : « Le Périgord ne doit pas devenir une réserve d'indiens. » La consigne a porté ses fruits, il se transforme en bidonville !

                      Sous l'œil impavide des architectes qui se sont succédé à la tête des services des Bâtiments de France chacun a pu intra et extra-muros procéder à toutes les rénovations, à tous les aménagements, modifications de structure et d'apparence envisageables. Les huisseries aluminium ont eu la faveur des uns, les couleurs les plus criardes ont séduit les autres… atteintes « minuscules », écrirait Philippe Delerm, à l'harmonie du cadre de vie !

                      Sans doute fallait-il réagir ! Impuissants à enrayer ce processus  les responsables administratifs, soucieux de « relooker » un bourg de sinistre allure, se sont, malgré tout, laissés aller à la facilité, à la dépense et à un penchant universel pour le toc et le factice.

                      Adossée à un bel édifice classique jouxtant l'église, une halle, qui au fil du temps avait été dépossédée de sa fonction première, retrouve, au terme d'une restauration radicale, le droit, en cas d'intempéries, d'abriter la sortie de fidèles venus assister à la célébration d'une messe pour un parent ou un voisin défunt. Dressée sur des piliers outrancièrement rajeunis sa toiture d'une solidité à toute épreuve l'assure de jouer ce rôle de parapluie, ou de parasol, durant des décennies… Charitablement, pour faire face aux fortes chaleurs estivales, une fontaine a été installée contre le mur méridional : les touristes pourront se désaltérer et s'asperger au robinet d'un équipement tout droit sorti d'un catalogue Jacob-Delafon ! Ce mobilier d'un aspect « surprenant » a dû coûter une certaine somme… devant les critiques qu'il suscite il aurait été décidé de le remplacer ! Il n'y a pas de petites gabegies !

 

                      Reste que le gros de l'effort financier consenti aura concerné « l'aménagement d'une place en centre bourg ». A peine plus de 100 000 €, une peccadille pour effacer les vestiges de potagers ayant succédé à un ancien cimetière établi en contre haut du sanctuaire fortifié et les remplacer par quelques murets  délimitant de petites esplanades en galets lavés contournées par une voie de circulation, pourvue d'un semblable revêtement, menant à l'indispensable parking.  Sur celui-ci stationneront bientôt, au grand dam des photographes qui se passeraient aisément d'aussi fâcheux premiers plans, des camping-cars incontinents… Traitée, comme c'est la mode, selon les canons du rétro de pacotille qui sévit aux quatre coins du département et atteint le summum de l'horreur à Brantôme, cette place conserve quelques mètres carrés de pelouse agrémentés d'un portique néo-antique façon Jardiland ! Tout cela est furieusement léché… pour un peu on se croirait transporté à Saint-Pardoux-de-Mareuil.

                      Au bas du village les trop authentiques puits et lavoir communaux  attendront encore un peu avant qu'on s'avise de les libérer de la gangue de béton qui les étouffe !

 

 

Dans quelques jours « Ribérac entre suffisance sociologique et architecture pâtissière », « Nontron : le pays des Souffle-à-cul veut péter plus haut que son c… »

                     



17/03/2006
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