grandeur nature
Une étude de marché grandeur nature
La végétation rustique et exubérante de ce fond de vallon se rit de la sécheresse. A peine quittée la route goudronnée serpentant en rive gauche de l'Euche, elle a déjà envahi tout le thalweg et dissimule le sentier qui permettait encore, l'hiver passé, d'en remonter les méandres sur plus d'un kilomètre.
Comme à l'accoutumée j'ai garé ma voiture tout au bout du dernier champ cultivé qui jouxte un ruisseau exsangue. Cette année on y a semé du maïs ; protection illusoire du cours d'eau contre la pollution occasionnée par les engrais, les pesticides et insecticides déversés sur les céréales, l'agriculteur a maintenu, sur toute sa longueur, une bande inculte de 3 mètres environ entre berge et plantation. La terre y est à nu… ce qui veut peut-être dire qu'il a eu recours aux désherbants!
Plus en amont une prairie naturelle que nul ne fauche plus depuis quelques années est devenue un vrai paradis pour les papillons et les araignées ; elle précède un bosquet embroussaillé qui dévale des flancs des coteaux latéraux.
Celui de gauche nous a livré, il y a quelques mois, une belle grotte dont l'exploration, difficulté de la désobstruction oblige, n'est toujours pas achevée. Pratiquement en face, à 200 mètres de distance, une autre cavité se dissimule si bien qu'il me faut près d'une heure pour en retrouver le porche. D'ici peu les ronces auront totalement refermé la piste des blaireaux et renards qui y mène. Je la connais depuis un quart de siècle et au début de cette année 2005 je l'ai longuement revue avec Romain puis Christine ; pas inutilement puisque son remplissage, bouleversé par les animaux fouisseurs, est parsemé de multiples tessons, médiévaux et du second Age du Fer, indices d'une occupation humaine prolongée. Sa longueur n'excède pas 40 mètres mais elle est susceptible d'offrir d'importants prolongements.
Aujourd'hui, ce 2 août, il fait chaud ; j'espère que son boyau terminal, dont l'élargissement ne sera pas une sinécure, me fera le plaisir d'exhaler ce souffle réfrigérant, assurance de découvertes fabuleuses, que provoquent habituellement les contrastes thermiques accusés entre la température caniculaire extérieure et l'air frisquet de la caverne hypothétiquement immense. Le « trou qui souffle » les spéléos y croient dur comme fer. C'est avec le « trou qui fume » le parfait miroir aux alouettes… troglophiles ! Tout au fond de la grotte la hauteur de la galerie se réduit à moins de 30 cm ; la respiration de la caverne n'est guère impressionnante mais le plafond et les parois se sont, cependant, couverts progressivement de gouttelettes d'eau attestant une intense condensation. Effarouchées par ma présence des chauves-souris ont été littéralement aspirées par la chatière. J'entends, au-delà de l'obstacle que le remplissage argileux et les protubérances rocheuses me rendent impénétrable, le battement feutré de leurs ailes qui, vigoureusement, se déploient sous des voûtes inconnues. Je reviendrai jouer les terrassiers…avec Romain …
Ma lampe électrique mourante me contraint à un retour rapide en surface ; à une quinzaine de mètres du fond de la cavité la voûte d'un haut méandre s'est effondrée créant une sorte d'aven éclairant parcimonieusement le plafond d'une salle surbaissée. Incongrues, dans le quasi-silence de ma reptation solitaire, s'élèvent, à peine m'y suis-je glissé, d'insistantes vocalises chuintantes dont il est difficile de déterminer l'origine. A plusieurs reprises, m'étant aventuré bien plus avant dans d'autres cavités, j'ai été interpellé de la sorte par des renardeaux ou de jeunes blaireaux me confondant… avec leur mère nourricière.
Dans le cas présent je suppute l'appel de quelques jeunes chouettes (Chevêches ou Chevêchettes ?) dont la génitrice a choisi pour nursery des anfractuosités élevées proches de l'à-pic. Malgré les balayages lumineux, asthéniques il faut le reconnaître, de ma torche je ne parviens pas à les localiser avec précision. D'ailleurs je n'en ai guère envie ; je préfère le statut de naturaliste « hédoniste » à celui de taxonomiste « distingué » si ce dernier doit occasionner le moindre stress ou dérangement aux animaux étudiés. Malgré tout la curiosité me taraude et je ne serais pas fâché d'observer l'apparition de l'adulte revenant au bercail une proie dans ses serres. Je contourne la base du cône d'éboulis et me réfugie dans une encoignure du méandre me séparant du porche.
De cet observatoire je discerne nettement, déployée sur la roche, la mosaïque mouvante et contrastée des jeux d'ombres et de lumière filtrant au travers de la couronne végétale dressée autour de l'orifice du puits. A plusieurs reprises il me semble voir, sur la paroi, le vol plongeant du rapace retour d'une chasse diurne ; il n'en est rien cependant, dehors la brise fait, tout simplement, ployer les branches feuillues des arbustes. Sans maillot sous ma combinaison de toile je commence à ressentir le froid et l'humidité du lieu où je stationne inconfortablement depuis vingt minutes environ. La patience n'est pas ma vertu cardinale ; je mets au pas ma vocation d'ornithologue improvisé et m'achemine, pour de bon, vers la lumière du jour. Regagnant ma voiture, je tombe nez à nez avec un couple de chevreuils insolents de beauté et de grâce dans leur robe fauve immaculée. Sans grand effroi il disparaît sous les chênes ; la chasse n'est pas encore ouverte et ces deux- là, qui, sans doute, en ont quelque expérience, savent que, pour l'heure, ils n'ont rien à redouter.
Quelques minutes plus tard, l'Euche franchie, me voici sur le coteau de Juillac dont les bois s'étendent au sud du hameau du Roc qualifié de Grand, comme aux Eyzies, par certains panneaux indicateurs. C'est un endroit superbe que Jean Paul Clauzure, lecteur attentif et passionné de l'œuvre de l'Abbé Gabriel Chaumette, le pionnier de l'archéologie souterraine en Périgord Blanc, m'a fait découvrir à l'âge où nous venions tout juste de troquer nos culottes courtes pour nos premiers pantalons ! Les grottes y abondent, les cluzeaux également. Périodiquement, on y déniche de nouvelles cavités.
A l'occasion d'une récente balade printanière dans sa chênaie au sol tapissé de mélittes j'y ai repéré un orifice plongeant ouvert en léger contre-haut d'un étroit vallon. Son exiguïté est telle que sa pénétration n'ira pas sans effort… mais, bien sûr, si, digne émule cavernicole du capitaine Achab, je constate qu'il « souffle », une tentative d'élargissement s'ensuivra ! Le trou est distant d'à peu près un kilomètre de cette petite pelouse calcaire qui va me servir de parking.
Tracé pratiquement au faîte du coteau, un sentier qu'empruntaient autrefois paysans et troupeaux n'est plus maintenu ouvert actuellement qu'au profit des seuls randonneurs… à pied… à vélo… ou à motocyclette, hélas ! L'itinéraire a été balisé à l'aide de nombreux panonceaux… cloués directement sur les arbres par les vététistes de la FFC ! Parce que les arracher entraînerait infailliblement leur remplacement et occasionnerait de nouvelles blessures aux troncs je renonce à cet acte contre-productif.
Malgré l'heure avancée le soleil stationne pratiquement à l'aplomb du sentier et par la cime effrangée des grands chênes qui le bordent ses rayons pénètrent la futaie et y diffusent une douce lumière empruntant ses verts au feuillage, ses ocres à l'argile, au roc et aux blonds épis des graminées. Les cigales, innombrables, doivent y trouver leur compte car leurs stridulations, si parfaite mise en musique de l'été, deviennent l' élément sonore essentiel de ce paysage qui ne supporte pas la moindre fausse note.
Depuis 150 mètres environ j'ai dépassé le départ, quasi invisible, de la piste qui conduit au Trou de la Guillotte . les spéléologues (dont je fus) ont pris la mauvaise habitude de dénommer Aven de Juillac cet attachant petit gouffre dont l'exploration, vers le milieu des années 60, causa bien des émotions, à trois adolescents qui l'affrontèrent avec une simple corde à vache en chanvre !
J'arrive maintenant à la hauteur du Trou de la Louve; un soir de l'été dernier Christine et moi y avons effectué un comptage des chiroptères . Leur population n'excède pas une dizaine d'individus. Pas de comparaison possible avec l'extraordinaire colonie – 7000 chauves-souris au bas mot- qu'abritent les voûtes tourmentées du gouffre voisin de Paussac. En revanche les blaireaux ont massivement élu domicile dans cette grotte d'une centaine de mètres de développement où une communauté de l'age du bronze inhumait ses défunts il y a 3000 ans .
L'orifice que je suis venu contrôler s'ouvre à proximité d'une troisième caverne dont la salle terminale est périodiquement ennoyée par un cours d'eau souterrain d'activité temporaire. Pas le moindre courant d'air froid n'en sort ; sans cette stimulation il n'y aura pas de désobstruction !
Mon retour dans le secteur attendra le venue des froidures hivernales que je souhaite précoces et intenses ; en mars et au début du mois d'avril un agriculteur du hameau proche de Juillac, où je devais, alors, découvrir et dégager un vaste silo présumé être l'embouchure d'un gouffre, m'a guidé à travers bois et taillis. De notre longue prospection j'ai retenu le souvenir de plusieurs cavités inédites appelant la pelle, la pioche et sans doute aussi le marteau et le burin. Toutes, situées sur les hauteurs du massif, sont candidates au titre de « Trou qui fume » La chance n'est qu'une affaire de pourcentage !
Ch. C 2 et 3 août 2005
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